Monsieur HALIMI


Il fait un temps magnifique en cet après-midi de la fin mai. Monsieur Halimi est derrière la fenêtre de son salon, dans cet appartement de trois pièces situé au huitième étage d’une tour qui en compte une dizaine. Il observe, comme tous les jours depuis une vingtaine d’années, la vie qui grouille au pied de sa cité. Il les connaît ces gamins qui, hier encore, étaient dans les jupes de leur mère. Il les a vus passer de la poussette à la marche hésitante, de la maternelle au primaire, du collège à la délinquance, de la prison à la mosquée. Souvent il se demande ce qui a bien pu se passer pour que la situation devienne ce qu’elle est, depuis trop d’années maintenant. Mr Halimi souffre du cœur. Pas de l’organe.
De ce côté-là tout va bien. La mort n’a pas l’air de rôder autour de lui malgré ses 80 années. Non, c’est en son for intérieur qu’il a mal.

A 15 ans, il s’était enrôlé au côté des troupes françaises dans la guerre contre l’armée allemande conduite par le général Rommel. A 20 ans, il était rentré en Algérie sans aucune médaille mais avec le regard fier de ceux qui ont combattu et terrassé l’ennemi. A 32 ans, il s’était rallié aux côtés de la France en tant que harki dans cette sinistre guerre d’Algérie. A 36 ans, enfin, il était renié par les siens et s’installait en France pour participer à la reconstruction de ce pays qu’il aimait, même s’il n’avait pas reçu de preuves concrètes d’une éventuelle et minime réciprocité. A force de s’éreinter au travail et à tout entreprendre pour être accepté, il avait réussi. Quarante-cinq ans de dur labeur. Quarante cinq années à faire tous les métiers ingrats, pénibles et mal payés que sa patrie d’adoption pouvait lui proposer. Et malgré toutes les humiliations, grâce à ses efforts constants, il était parvenu à se faire aimer. Oh, pas par tout le monde. Mais au fil des années les gens ne le regardaient plus comme un immigré, un sale arabe, un bougnoule, mais comme un vieux monsieur. Certes il se doutait bien que la vieillesse était responsable de ce nouveau respect mais il se disait que son attitude courtoise et sa grande discrétion avait également permis ce nouveau regard d’autrui. De toute façon, pour Mr Halimi, que ce soit par l’âge ou grâce à son caractère, le principal était qu’il soit accepté. Reconnu, aurait été plus juste eu égard aux efforts qu’il avait consentis, mais il avait bien compris que ce ne serait pas demain la veille au travers de ce qu’il voyait dans les rues, au journal télévisé de 20 heures, dans la presse écrite et même dans son ascenseur. Qu’importait de toute façon, il aimait la France. Envers et contre tout ce qu’il avait pu subir, ce pays c’était le sien.[...]



Elodie TORRENTE

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