Partie de campagne


Ouf, l’Emile s’était sorti de ce pétrin ! Même si l’avait eu chaud aux fesses qu’il protégeait pourtant bien en  restant des heures durant assis dessus. Dessous vous me direz, c’est pas fastoche. Encore que ma cousine, la Germaine, elle est tellement grosse qu’on se demande où est son cul de ses pieds. Ca se peut qu’elle s’assoyent pas sur son postérieur désormais antérieur, qui sait ? M’enfin, l’Emile l’était tout content content de plus être emmerdé par les bleus qui, depuis qu’on avait retrouvé le gosse de la capitale égorgé comme un poulet, le zieutaient à longueur de p’tit blanc et de soupe à l’oignon. Pourtant l’avait juste aperçu sur la route ce gamin ! A peine quelques minutes. Il marchait. L’Emile de même. Rien de bien extraordinaire. N’empêche qu’ils lui collaient aux basques et méchamment. Dans ces conditions, l’était plus facile de fourrer une dinde plutôt que la Huguette qui créchait à l’autre bout du village. Personne ne savait dans le bled et c’est pas les coyotes qui auraient la primeur de l’info. L’est mariée la gueuse et lui, pas mieux. Et quand on attend la mort en vivant dans un trou de trois cent âmes mieux vaut se la jouer discrète, la tromperie. Ils avaient réussi leur coup depuis un an. C’est pas les condés qu’allaient tout foutre en l’air à cause de ce gamin qu’avait qu’à rester sagement chez ses parents ! On l’y avait pas demandé de venir foutre ses panards dans le coin à cézigue. On est tranquille ici. Pas de touriste c’est moins d’emmerdeurs. La preuve ! Il s’est fait zigouillé le dernier qu’est venu ! Et pis c’est pas pour dire, mais les poulagas à force de le reluquer comme des mouches sur un tas de purin , les autres du village lui jetaient le mauvais œil, celui qui démonte et repousse, celui qui épie à l’affût de la confirmation de la faute… Limite plus flics que les vrais qui, une fois les heures terminées, s’en retournaient d’où ils venaient !

 

Nan, l’Emile n’avait plus de paix dans son canton et ne pas aller trousser la Huguette ne faisait rien pour arranger son humeur de  vieil ours mal embouché. Fallait qu’il trouve un plan et que surtout il envoye les bleus dans une autre direction que sa carcasse. Et pis, si en plus, il pouvait faire peser les soupçons sur le Marcel, l’autre tanche de boucher avec qui, depuis l’école communale, l’avait toujours eu du fil de pêche (au gros) à retordre, ce serait un sacré putain de bon coup ! C’était ce peigne-cul qui y’avait piqué la Georgette à l’âge des premières galoches. Et le Marcel l’avait pas fait ça dans les règles. Aller jacter des conneries à chacun des tourtereaux pour mieux les dézinguer entre eux, c’était de la tactique de face de rat pesteux. En plus, un pote, à l’époque ! L’avait gardé en travers de la gorge l’Emile. Alors s’il pouvait le coincer une bonne fois pour toute avec cette histoire de gamin parigo, et se débarrasser en plus des cancans et des surveillances, ce serait tout bon.  Un plan, v’là l’urgence pour notre zigue. Endormir les coyotes si jamais ils l’interrogent de nouveau. Mais pas sûr que ce soit le cas. Faire en sorte que ça le soit, donc. Et s’il allait les trouver ce tantôt ? Juste comme ça pour leur dire qu’il a des souvenirs oubliés dans les fonds de p’tit blanc. Ca se tient après tout. Et là, il dit qu’en fait l’avait peut-être ben vu un autre type sur cette route, cette nuit-là.  Ensuite, il décrit vite fait, bien fait un grand type bien baraqué des épaules, bedonnant et plutôt brun, mais dans la nuit, et avec ce qu’il tenait, l’est plus ben sûr, sauf que le gus était grand et bien carré, ça y s’en souvenait ! Et hop l’affaire est dans le sac ! Aussitôt gambergé, aussitôt déblatéré. Le poulet qui l’entend n’a pas l’air de douter de ce que l’Emile lui baratine. Même, il semble très content de ce que le menteur lui ment.  Comme une lumière dans le regard du flicaillon, de ces lumières qui annoncent la confirmation d’une pensée. C’est avec le sourire aux lèvres pour l’un et un rictus de balance pour l’autre que la déposition est signée. Fastoche, se dit l’Emile, tout heureux de quitter la volaille et de les envoyer du côté de l’autre salaud ! Va pouvoir aller retrousser la Huguette qu’attend que ça, l’en était sûr ! Mais d’abord direction le troquet et le p’tit blanc. L’avait le gosier tout sec, pire que le désert de Gobi, avec ces histoires-là !

 

Dans le café de la place, là où il avait ses habitudes depuis toujours, y’avait le Marcel avec, en face de lui, les keufs en civil qui le reluquaient depuis le bar. Ils  étaient déjà dans le coin.  Valait peut-être mieux pas prendre racine. Si jamais il leur prenait l’idée de le mettre en face de lui, l’Emile pour qu’il bave une seconde fois, il serait dans de beaux draps ! Non, pas folle la guêpe ! Installé, comme d’habitude, sur le zinc, face au Gaston, le tôlier, il ingurgite trois p’tits blancs direct, avant même de saluer le patron. C’était sa coutume et personne n’y trouvait rien à redire. La changer face à la situation serait suspect. Il venait de se débarrasser des bleus, c’était pas pour se les coltiner de nouveau avec,  en prime, l’autre tanche.  Il avala un quatrième godet et salua la compagnie dans un grognement habituel. L’avait bien envie d’aller retrouver la Huguette, depuis trois jours qu’il l’avait pas allongée. Pas qu’il l’aimait la bonne femme mais parce que sur le dos elle était hors pair. Ses gros seins, ses yeux qui en redemandaient toujours et son corps arc-bouté qui gémissait de tous ses pores, oui, il aimait ça. Et depuis un an, ils s’en donnaient dans tous les sens, dans pleins de lieux, et sans aucun tabou. La vieille n’était pas amoureuse, elle non plus. Du plaisir et rien d’autre, voilà ce qu’elle aimait. A soixante piges il était temps qu’elle se le permette !

 

L’Emile prit donc le chemin qui mène à la maison de sa maitresse. Elle habitait une ferme au nord. Son mari travaillait à la ville. En journée, elle était toujours seule, la mamie torride. Il alla, comme à son habitude, à la cuisine où tous les après-midis elle épluchait inlassablement ses légumes en buvant un ch’ti calva, parce que de toute façon y’a la faucheuse qui l’attend et que de crever de ça ou d’autre chose, c’est quoi que ça change ? Elle avait décidé de profiter de tout jusqu’à sa fin prochaine et c’est dans cette optique qu’elle entretenait une relation débridée avec l’Emile, assez futé pour l’avoir culbuté un soir de trop plein. Cézigue qui, justement entra dans la cuisine pour n’y rencontrer aucune âme qui vive et surtout pas la bonne Huguette. Tendant l’oreille au silence environnant, il la reprit vite pour se rendre dans les autres pièces. Dans la salle à manger comme dans les chambres pas plus d’Huguette que de beurre en broche. Il sortit de la maison, fit le tour des étables  mais que nib. Il s’en retourna chez lui, penaud. 

 

C’était encore pas aujourd’hui qu’il allait pouvoir tirer sa crampe. A cette vitesse-là, va passer son quatrième jour sans avoir forniqué avec la plantureuse greluche, l’Emile. Lui qui a l’habitude d’y aller une, voire deux fois par jour quand il y a grand besoin. L’était un besogneux de ce côté-là le vieux.  L’en était-là de ses pensées lugubres lorsqu’au détour du putain de chemin si boueux qu’il en mettait plein ses bottes faites exprès pour ça,  son regard aviné fût attiré par un truc noir à côté d’un arbre sur sa gauche. C’était une paire de bottes vide de pieds et de mollets. Elle traînait juste là, par hasard. Il repartit vers sa turne à grande enjambées cette fois, car la bleusaille rappliquait sur la route, à grands coups de gyrophares. Trop peu pour l’Emile une seconde vidange auprès de ceux-là. Fallait se radiner chez soi, bien tranquille auprès de mémère qui l’attend sagement depuis 45 ans sans décrocher un mot plus haut que l’autre. Sans l’aimer ni le détester. Sans le voir en somme, ce qu’il s’était accommodé à apprécier. La tranquillité a ce prix-là. A peine enfourné chez sa vioque, il entendit la voix de la Huguette, qu’était là, éraillée, chantante et si bandante, à taper la discute avec sa légitime. Elle s’inquiétait de se son sort d’où la visite de l’importune. Pas très comédien dans l’âme, l’Emile était pire que pas à son aise. Il était déconfit, blanc, cramoisi, enfin,  indéfinissable. Ce qu’il était souvent d’ailleurs. Elles l’accueillirent à grands cris, un verre de calva à la main, déjà éméchée et grandes copines, ce qui était le terme approprié puisqu’elle se la partageait (la pine, pour ceux qui auraient pas suivis).  Enfin plus trop, vraiment, puisque la vioque rechignait depuis des décennies à la tâche. L’avait bien fallu se débrouiller autrement. Avant, elles étaient plus jeunes. Maintenant, elles sont plus expérimentées. Faute de grives, on mange des merles, comme disait le vieux, son père. L’ambiance était plutôt festive et l’Emile que toute cette histoire avait bien asséché, se servit comme ses vieilles,  un bon petit coup de jaja derrière les chicots. Après avoir éclusé quelques godets bien mérités, il annonça aux yeux en couilles d’hirondelle de sa vioque titubante et chantante qu’il allait escorter la Huguette jusqu’à son antre. En passant devant la gendarmerie, il entendit des éclats de voix et les claquements caractéristiques des grosses torgnoles sur les joues. A la voix qui gueulait d’arrêter, il comprit que c’était l’autre tanche de Marcel, le boucher. Dans quelques minutes il allait retrousser la dondon. Le soleil qui pointait ses rayons derrière les nuages le rendit très léger. Il se sentait rajeuni l'Emile d'avoir réglé cette vieille histoire. et c'est le sourire aux lèvres qu'il se dit : "Prépare-toi Huguette, ça va être ta fête ! ".

 

Elodie TORRENTE



A suivre : La panne


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Commentaires: 7
  • #1

    Pauline (jeudi, 16 avril 2009 15:21)

    j'adore!!! sacré Emile lol et puis la morale est sympa :) bizzz

  • #2

    MichelDALMAZZO (mercredi, 13 mai 2009 22:47)

    Vla du neuf! Sacrément jouissif!

  • #3

    Rosario Villegas (lundi, 22 juin 2009 16:41)

    Une histoire vivante et bien ficelée qui donne envie de savoir que va t'il se passer à la fin!!! ..et la preuve qu'à la campagne il n'y a pas que des lucioles!!!

  • #4

    laurence (lundi, 28 septembre 2009 22:15)

    ahhh que c'est bien enfin de lire à nouveau du Elodie Torrente...
    merci merci merci

  • #5

    Yannou (mercredi, 10 février 2010 17:18)

    Comme quoi mâle au net ou pas,l'honnêteté,en plus de ne pas être étanche,ne paie pas,même deux mines;de crayons.
    Sublime,je me suis littéralement délecté à lire ce texte!
    Chapi chapeau!

  • #6

    canardoo (dimanche, 12 septembre 2010 12:21)

    Bonjour venus du net,

    Au début j'ai cru relire une histoire que j'avais écrite, mais non... voila un scénario bien différent et un peu trop sage à mon gout pour qu'il explose au box office....sourire.

    En fait des les premières lignes j'ai commencé déjà à sauter des phrases et ensuite j'ai rapidement abandonné.

    Dommage, la qualité rédactionnelle est de qualité...

    Amicalement

  • #7

    Romu (lundi, 24 février 2014 18:39)

    "L 'Emile", "le Marcel"' La Huguette", arf, les ruraux semblent bien bas du front dans votre histoire, rien que pour ça, ça me donne pas du tout envie de poursuivre la lecture..