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Du fil à retordre

Épisode 2 sur 6

Muriel Mauchartin, ainsi abandonnée par le Docteur Mercier, décrocha, pour la première fois, le combiné téléphonique. « Allo, allo, ici le docteur Mauchartin », argua-t-elle sans succès. Au bout de quelques secondes, agacée par la situation, elle raccrocha, se lava consciencieusement les mains puis se rendit dans la salle d’attente pour recevoir le premier malade d’une longue liste. L’agenda indiquait le nom de Monsieur Genêt visiblement accompagné de Madame, à en croire le couple qui s’avançait à sa rencontre.

  • Entrez, je vous en prie.
  • Le docteur Mercier n’est pas là ?
  • Non, Madame. Je suis sa remplaçante, le docteur Mauchartin.
  • Mais nous avions rendez-vous avec le docteur Mercier.
  • Oui, Madame, en effet, votre mari avait rendez-vous avec le docteur Mercier mais celui-ci s’est absenté pour une quinzaine de jours. Vous pouvez revenir à ce moment-là, si ce n’est pas urgent.
  • Pas urgent, pas urgent. Vous en avez de bonnes ! Docteur … ?
  • Mauchartin. Docteur Muriel Mauchartin.
  • Docteur Mauchartin, nous sommes pressés.
  • Votre prénom monsieur Genêt ?
  • Il s’appelle Robert.
  • Madame, c’est à votre mari que je parle, lança Muriel en constatant, dans le dit dossier que le sieur Genêt était mutique depuis six mois, date à laquelle il avait vraisemblablement vécu un choc émotionnel intense. Confuse, et avant que l’épouse dévouée ne lui assène une réplique aussi juste qu’assassine, le docteur Mauchartin se reprit, un sourire forcé aux lèvres, « Je vous en prie, Madame Genêt, je vous écoute. »

La femme expliqua qu’elle venait, comme chaque mois, chercher l’ordonnance d‘anxiolytiques et d’hypnotiques que le gentil docteur Mercier rédigeait pour son mari depuis 20 ans. Ce rendez-vous n’avait été pris que pour vérifier la tolérance au traitement administré depuis deux décennies. « Pas besoin de l’ausculter, Docteur. Il tolère très bien ses médicaments. Comme toujours », affirma l’épouse au jeune médecin perplexe. Vingt ans d’une telle médication ingurgitée par un mari atteint de mutisme depuis six mois et tout allait bien pour la femme Genêt ? Mauchartin en doutait sérieusement. Aussi refusa-t-elle de faire l’ordonnance sans que des examens approfondis ne soient prescrits pour le mari. Cette décision énerva la femme qui, vivement, quitta le cabinet, les mains vides, en claquant la porte, flanquée de son mari muet et apathique. Pour un premier patient, c’était réussi ! , se félicita Muriel. S’ils sont tous comme ça, je vais vivre l’enfer !

 

Ce fut sa dernière pensée de la journée en constatant, affolée, qu’en quarante-cinq minutes, elle n’avait réalisé qu’une seule consultation, alors que la salle d’attente affichait complet. Ils étaient maintenant une dizaine à patienter, et à 9h45 de cette première journée, elle accusait une heure de retard sur les rendez-vous. À midi, elle en avait deux. Vers 13 heures, elle rattrapa une demi-heure sur le temps du déjeuner en ingurgitant, en moins de deux minutes, le sandwich qu’elle avait eu la sage intuition de préparer la veille. Enfin, trois patients ne se présentèrent pas ce qui lui permit de rattraper le temps perdu, même si, pour cela, elle n’avait pu accordé que dix minutes aux malades de l’après-midi. Elle qui s’était jurée de passer le double à les écouter, les découvrir et les soigner, se rassura en se disant qu’un premier jour était rarement parfait. D’autant que ce maudit téléphone ne semblait pas fonctionner correctement. Elle avait passé sa journée à répondre sans que personne ne soit à l’autre bout du fil. Et d’ailleurs, la voilà qui retentissait à nouveau. Comme elle l’avait fait depuis huit heures du matin, elle décrocha, et, comme précédemment, personne ne répondit à ses « allo » agacés. Elle raccrocha énervée, éteignit l’ordinateur contenant les dossiers des patients et s’apprêta à sortir lorsqu’elle tomba nez à nez avec un homme dont le doigt semblait collé à la sonnette. Elle comprit, à entendre le téléphone retentir à l’autre bout, que le dérangement subi toute la journée n’était autre que le son de l’interphone de la porte d’entrée ! Quelle idiote elle avait été ! À aucun moment elle n’avait pensé que la porte était munie d’un interphone ! Elle n’eut pas le temps de s’invectiver plus longtemps. L’homme immense qui se tenait devant elle, le doigt pressé sur la sonnette exigeait d’être reçu en consultation. Maintenant. Pour une urgence.

 

 

Élodie TORRENTE




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