Un parmi tant d'autres


Merci Mercier ! 

Épisode 1 sur 6

Le soleil éclaboussait les persiennes en ce premier jour de septembre lorsque Muriel Mauchartin, jolie jeune femme blonde de 32 ans ouvrit les yeux à sept heures du matin. La date était importante pour cette ancienne Interne des Hôpitaux de Paris qui, armée depuis peu de son diplôme de médecin généraliste, débutait au cabinet de ville du Docteur Marcel Mercier, en qualité de remplaçante. Alors qu’elle prenait sa douche, elle se remémorait, sans aucune nostalgie, la course à l’amphi de sa première année de médecine, l’accompagnement des patients en ambulance pour les examens dans d’autres hôpitaux quand elle était externe, le clivage du thermos de café entre équipes de jour et équipes de nuit à l’hôpital lors de ses trois ans d’internat. Elle revivait mentalement le défilé des blouses blanches devant les patients alités, souffrants et ébahis par le manque de dignité imposé par ce staff médical dont seul le cas clinique semblait compter. En ville, elle n’aurait plus à faire semblant pour ne pas déplaire au chef de clinique, elle n’aurait plus à s’indigner face à des comportements purement élitistes. En ville, elle était convaincue, depuis ses deux semestres exercés l’année précédente chez un « prat’ » qu’elle pourrait exercer la médecine qui lui plaisait, celle où l’humain avait autant d’importance que la maladie, celle où l’on prenait le temps d’écouter, de parler, de connaître pour mieux soigner. Et même si elle savait pertinemment qu’avec Mercier, elle découvrirait d’autres désagréments, ce fut avec une énergie débordante qu’elle avala son petit-déjeuner, prit sa sacoche et ses lunettes de soleil afin d’être, comme convenu, à 8 heures précises au cabinet du Docteur Mercier.

 

Lorsqu’elle arriva au 6, rue des Alouettes, elle trouva porte close. Le vieux médecin était en retard. Les consultations ne commençaient pas avant 8h30 aussi fut-elle très étonnée de voir un couple, une mère avec son jeune enfant ainsi qu’une personne âgée déjà agglutinés devant la porte. Je ne vais pas m’ennuyer s’ils arrivent tous en avance, se dit-elle.

  • Bienvenue Docteur Mauchartin. Je vous prie de m’excuser pour ce retard mais ma femme avait encore oublié ses clefs. Ah les femmes, j’vous jure !
  • Elles sont comme les hommes, non ? Bonjour Docteur Mercier.
  • Oui, peut-être. Qui sait ? lui répondit-il avec malice. Mais entrez, je vous prie. Je m’occupe de ces messieurs-dames et je suis à vous tout de suite.
  • Je vous en prie, fit-elle en s’asseyant sur la chaise habituellement réservé au patient.

 

Le docteur Mercier ouvrit la salle d’attente afin d’installer les premiers impatients puis revint dans le cabinet, le sourire aux lèvres. Il proposa à Muriel un café qu’elle refusa aimablement. Il s’en servit un et c’est, tasse à la main, qu’il entreprit de lui expliquer le fonctionnement du téléphone. Les lumières rouges clignotantes indiquaient des messages à traiter, les vertes signifiaient que le répondeur était en marche mais vide et enfin, lorsque la lumière orange s’agitait c’était le signe que le secrétariat médical essayait de joindre le cabinet. C’est simple, je devrais m’en sortir sans trop de problèmes, se dit Muriel. Puis Mercier aborda la question de l’emploi du temps que le jeune docteur devait absolument respecter, avec ou sans lui. Et d’ailleurs, ce serait sans lui, lui annonça-t-il. En effet, il s’excusait mais, malgré leurs accords initiaux, il ne pourrait être présent ce jour-là et les deux semaines qui suivaient. Sa femme avait gagné, deux ans auparavant, à un jeu télévisé dont elle était friande, un séjour en Afrique du sud, pays dont il rêvait depuis son plus jeune âge. Cependant, seul praticien au cabinet, il n’avait pas pu partir avant et, sous peine de perdre cet inestimable cadeau (qui lui avait coûté de nombreuses soirées cathodiques), il n’avait d’autre choix que de s’en remettre à elle pour assurer les consultations. « Vous comprenez, ma chère, sans vous, c’est bien simple, ma femme perdait ce voyage et moi, mon rêve et ma tranquillité ! ». Certes, il en était conscient : l’annonce de son absence avait de quoi la déstabiliser mais enfin, il était persuadé qu’elle serait parfaite pendant qu’il se reposerait sous le soleil de Pretoria. Elle n’allait pas le contredire, tout de même ! Muriel Mauchartin accusa le coup et comprit, dès lors, que ses espérances récentes ressemblaient dorénavant à des illusions bientôt perdues. Cette pensée se confirma très vite lorsqu’elle vit la teneur du planning de cette première journée. Trente-six patients enregistrés ! Pas un de moins. Des malades supplémentaires, par contre, il fallait l’envisager, avec tous ceux qui ne manqueraient pas de se présenter sans rendez-vous, sous le prétexte fallacieux d’une urgence qui, dans 99% des cas, n’en serait pas une. Le jeune médecin blêmit en feuilletant les pages de l’agenda tandis que le docteur Mercier enfilait sa veste, le sourire toujours aux lèvres, prêt à rentrer chez lui faire sa valise. Muriel s’apprêta à lui reprocher sa désertion d’un cabinet où elle ne connaissait aucun dossier, aucune armoire, aucune habitude, lorsque la sonnerie du téléphone retentit. Sauvé par le gong, Mercier la salua d’un hochement de tête et s’en fut, d’un pas alerte, sifflotant, heureux de ces quinze jours à se dorer la pilule avec sa femme, loin de la maudite question pour un champion, de cette insipide roue de la fortune ou de cet exécrable grand quizz. Sans se soucier le moins du monde de l’enfer qu’il laissait à la jeune praticienne…

 

Élodie TORRENTE

 

Lire l'épisode 2 




Vous avez lu ? Laissez un commentaire... 

Écrire commentaire

Commentaires: 3
  • #1

    Florence miesch (vendredi, 06 décembre 2013 22:36)

    Apres les phots un petit.... Hebdo? Bravo. Quels talents...

  • #2

    Colette Frère (samedi, 07 décembre 2013 15:21)

    J'aime beaucoup ce début....Vite la semaine prochaine qu'on connaisse la suite....

  • #3

    Michèle Harmand (dimanche, 08 décembre 2013 12:14)

    On est vraiment impatient de savoir ce que va bien pouvoir nous réserver le monde de l'enfer, à part du stress et de la fatigue. Mais on te fait confiance ... :)