Une urgence ? À la forte toux de cet énigmatique patient de dernière minute, au son caractéristique de sa voix « rhinopharyngée », le docteur Mauchartin se résolut à recevoir ce visiteur du soir plutôt que de l’envoyer, pour une banale pathologie, chez ses collègues urgentistes. Cinq minutes, pas plus, s’ordonna-t-elle. Les antécédents, les questions approfondies, le poids, la taille et tout le reste, elle verrait ça une autre fois, quand il prendrait un rendez-vous. Il s’appelait Bruno Charles et partait dans deux jours en Inde. Sa toux et son mal de gorge devaient être traités avant son départ tout comme la rougeur douloureuse au tibia droit, la supplia-t-il. Muriel écouta le lent débit de cet homme taciturne assis en face d’elle, regarda l’érythème en question, prit son stylo, son ordonnancier et prescrivit du Pivalone® pour l’encombrement nasal, du paracétamol pour la fièvre et le mal de gorge ainsi que de la chlorhexidine pour le tibia douloureux. Le voilà paré pour l’Inde et sans passer par les urgences, se dit-elle, satisfaite de cette consultation peut-être bâclée mais efficace. Bruno Charles, le visage aussi fermé qu’une huître, s’en fut, claudiquant et toussant, dans la douce fraîcheur de ce début de soirée.
Après son départ, la jeune médecin, heureuse d’avoir survécu à ce rythme infernal sentit une boule d’angoisse monter en elle à l’idée qu’il faudrait tenir ainsi quinze jours. Des larmes roulèrent sur ses joues. Elle prit la décision d’appeler sa mère à la rescousse. Arrivée chez elle, la praticienne troqua sa jolie robe pour une tenue d’intérieur plus confortable, dîna d’un frugal repas puis s’installa dans le canapé pour passer son appel téléphonique. La sonnerie qui retentit au même instant l’en empêcha. Au numéro inconnu qui s’affichait, elle hésita à répondre. Elle décrocha cependant, bien décidée à ne pas y passer plus de trois secondes. C’est alors qu’une voix masculine se fit entendre :
Bip, bip, bip. Mercier avait raccroché. Muriel n’avait plus faim. La pendule affichait 21h30. Il était maintenant trop tard pour déranger sa mère. De rage après cet égoïste de vieux médecin en vacances, elle envoya valser ses chaussons au fond de la pièce. Puis se resservit un verre de vin tout en se promettant que, demain, les choses changeraient. Demain, elle réduirait la cadence. Demain, elle pratiquerait la médecine de proximité dont elle rêvait depuis toujours. Demain, parce qu’aujourd’hui elle était épuisée. C’est sur ces bonnes résolutions qu’elle sombra dans un sommeil profond mais agité. Elle y retrouva, bien malgré elle, Bruno Charles, agonisant, une énorme plaie rouge couvrant la totalité de son corps et qui l’insultait d’avoir bâclé son diagnostic. Elle se réveilla en sursaut, haletante, trempée de sueur. Ce n’était qu’un cauchemar, se rassura-t-elle. Le patient n’avait rien que des symptômes très communs. Demain il décollait pour l’Inde. Bon voyage, pensa-t-elle avant de se rendormir tandis que Bruno Charles, à quelques rues de là, toussait comme un damné…
Élodie TORRENTE
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lau (mardi, 21 janvier 2014 12:40)
oui mais pffff hein, j'aime pas quand on ne sait pas la suite de suite :P
Lila (mardi, 21 janvier 2014 14:58)
Je sens qu'on n'en a pas fini avec Bruno Charles. Il pourrait même rater son avion. Vivement la suite !
Sam (mercredi, 22 janvier 2014 13:53)
J'attends la suite avec impatience Et si le cauchemar de transformait en rêve prémonitoire ? Qui sait ?